STAALPLAAT SOUNDSYSTEM
"Installations"
(Staalplaat - SP-Beta)
L'art sonore transforme toutes sortes d'objets, d'artefacts et de lieux en générateurs de son potentiel. Manipulations, détournements, mise en scène : l'exercice est presque sans limites et peut aussi s'enrichir de contraintes choisies, un peu à la manière des jeux littéraires de l'Oulipo. Entre performance et installation, l'art sonore est une expérience à vivre in situ; au cœur de friches industrielles, de zones naturelles ou d'espaces publics.
Porté depuis 2000 par Carlo Crovato, Radboud Mens, Jens Alexander Ewald et Geert-Jan Hobijn, Staalplaat SoundSystem a ainsi organisé la procession pré-programmée de tuk tuk et le concert de leurs klaxons, a chorégraphié une armée de machines à laver et le ballet d'aspirateurs, a greffé des moteurs recyclés à des arbres, a érigé des tubes d'acier aux allures de canons de cuirassés transformés en orgue sous le feu de brûleurs, a construit un mécano en plastique recyclé (bouteilles et PVC) qui flotte sur l'eau en émettant un drone plaintif ("Floating Mind").
Expériences fugitives qui ne durent que le temps d'une exposition, d'un évènement. D'où la nécessité de documenter, de fixer le son de ces créations singulières. Après Composed Nature / Yokomono-Pro en collaboration avec Lola Landscape Architects (AM Editions, 2011), ce disque est la deuxième "photographie sonore" du Staalplaat SoundSystem qui nous offre un aperçu de certaines de leurs réalisations.
Avec "Station To Station", nous sommes immergés brièvement, mais complètement, dans une ambiance ferroviaire. Nous sommes dans la gare de La Haye. En véritable chef d'orchestre, Staalplaat SoundSystem mixe les stridences des machines, le déchirement des sirènes, le bruit de pas et les voix qui résonnent dans le hall. Nous y sommes vraiment. C'était en 2008 pour l'ouverture du festival Todaysart.
"Plan C" est une installation sonore et lumineuse conçue à Cologne, nichée dans les structures d'un pont qui enjambe le Rhin. Plusieurs univers sonores se succèdent. Celui d'une petite boîte à musique bricolée à partir d'une bande de papier perforée, des drones profonds et inquiétants, des zébrures aux accents métalliques synchro avec la lumière déclenchée par l'écho lointain de la circulation alentour, qui révèle la structure du pont et l'alignement de caisses en bois dont les vibrations s'amplifient, montent en puissance et grondent comme l'orage.
"Sale away" est présenté ici via des enregistrements dans deux endroits différents, au Lieu Unique à Nantes et à Dordrecht, en Hollande, dans l'enceinte de DordYart. Il est intéressant de noter que ce sont deux friches industrielles reconverties en friches culturelles : Le Lieu Unique est une ancienne biscuiterie et le DorYart est un ancien chantier naval. Cela a donc une incidence sur l'installation. Mais, et c'est là tout l'intérêt de cette mise en parallèle, au-delà de la topographie qui présente certaines similitudes et l'utilisation des mêmes éléments et principes, on décèle des variations très nettes.
Là aussi, des caisses en bois arrimées à la structure métallique du bâtiment servent de caisse de résonnance. À ce dispositif aux sonorités percussives se mêle le chuintement de flûtes dont le souffle est assuré par des aspirateurs, auxquels se rajoute le ronronnement de ventilos et de radios calées sur 50Hz. À écouter "hors champ" sur disque, en aveugle donc, on "voit" la différence entre ces deux versions. Les deux extraits choisis pour l'installation à Nantes offrent un effet de sur-tension métallique doublée d'une plainte mécanique.
Les trois autres extraits de "Sale away" ont un aspect plus brut, si ce n'est brutal. Les impressions de torsions et distorsions mécaniques, de bruits qui s'entrechoquent comme dans la cale d'un bateau sont plus marquées. Dans les deux cas, le public peut intervenir et contrôler les sources, le son, via une appli, ce qui renforce encore le caractère singulier de l'installation au gré de ces implantations. Une interaction en phase avec l'esprit du Staalplaat SoundSystem qui s'affirme hors du circuit des galeries et musée, qui n'est pas "hors sol".
Laurent Diouf
version française du texte écrit pour Staalplaat Sound System pour la sortie du disque / présentation presse + distribution + site > http://staalplaat.com/recording/installations