Meat Beat Manifesto

Jack Dangers at the control

Ceci est en quelque sorte la version "extended" de la chronique du nouvel album de Meat Beat Manifesto, Autoimmune, que nous avons disséqué il y a peu (cf. MCD #46). Il est en effet extrêmement frustrant, tant pour le chroniqueur avisé que pour le lecteur curieux, de réduire les faits d'armes d'un artiste ou d'un groupe majeur à son dernier opus en ne citant, au mieux, que quelques références annexes (labels, courants, titres de disques antérieurs, collaborations, etc.), histoire de prouver que la chose s'enracine bien dans une histoire musicale plus large… Bref, nous en étions là de nos réflexions lorsqu'un autre disque estampillé Jack Dangers — Music For Planetarium, qui fait l'objet d'une réédition collector — a atterri sur notre bureau. Moralité, cette fois-ci, vous ne couperez pas à un petit rappel historique des aventures sonores de celui qui porte ce combo depuis maintenant plus de vingt ans !

Storm The Studio
C'est en 1987 / 88 que l'on a vu arriver les premiers maxis de Meat Beat Manifesto Strap Down, God O.D., Suck Hard — sur Sweatbox. Une structure aujourd'hui défunte comme son fondateur. Un certain Rob Deacon qui, plus tard, sera aussi à l'origine de Volume (et la série éponyme des fameuses "compilations-magazines-CDs") puis de Deviant Records (feat. Pentatonik, Paul van Dick, Witchman). À l'époque, Sweatbox est dévolu à des formations plutôt industrielles, voire EBM (A Primary Industry, In The Nursery, T.A.G.C., The Anti Group…). Mais la musique de Meat Beat Manifesto n'a rien à voir avec cette mouvance. Certes, les morceaux ou certaines de leurs séquences sont parfois assez noisy, mais ils détonnent dans ce paysage par leur exubérance. Bardées de samples, de scratches, de cuts, de breakbeats et de basses, ces compositions sonnent un peu comme du "big beat" avant l'heure. En plus teigneux. Fusionnant les apports du hip-hop et la tradition du dub, la virulence de l'indus et le groove de l'electronic-music alors naissante. Ces EPs se déclinent en plusieurs parties et remixes (Re-Animator, I Got The Fear). La quintessence de ce "manifeste" sera rassemblée sur un double-album légendaire qui emprunte son titre à William Burroughs que l'on entend en préambule sur la piste 1 : Storm The Studio. C'est vraiment un disque de légende qui sera consacré comme tel, des années plus tard, en 2003, par des remixes signés Twilight Circus, DJ Spooky, Jonah Sharp, Frank Bretschneider, Merzbow, Scanner et Norscq !

Radio Babylon
Mais pour l'heure, fin des années 80s, le nom de Meat Beat Manifesto n'est connu que de quelques initiés à la recherche de sonorités abrasives. D'autres groupes viendront progressivement se joindre à cette sarabande : Consolidated, D.H.S. (i.e. Dimensional Holophonic Sound et son antienne "House of God")… On assiste à l'émergence d'un nouveau genre auquel peuvent aussi se rattacher des formations comme Renegade SoundWave, Depth Charge, EBN, Disposable Heroes Of Hip Hoprisy, MC 900 feat. Jesus… Plus tard, beaucoup plus tard, on découvrira que Perennial Divide était le prototype de Meat Beat Manifesto emmené par un dénommé John Stephen Corrigan, plus connu sous le pseudo Jack Dangers. Autour de lui, parmi les personnages qui prennent part à l'aventure, on citera, toutes périodes confondues, Colin James aka DJ Greg Retch, John Wilson, Craig Morrison (Silicone Soul), Mike Powell, Marcus Adams, Johnny Stephens… Au fur et à mesure, le son s'affine, devient moins anguleux, se fait plus "clubby", à l'image des "tubesques" Psyche-Out, Helter Shelter et Radio Babylon (remixé notamment par Andrew Weatherall). Cette montée en puissance s'étire jusqu'au milieu des années 90s. Un recueil d'archives, Armed Audio Warfare, permet de mesurer le chemin accompli depuis ces débuts tonitruants jusqu'aux albums plus "consensuels" comme Satyricon

Subliminal Sandwich
Mais Jack Dangers n'est pas homme à se reposer sur ses lauriers. Grand collectionneur de disques, c'est avant tout un explorateur d'univers musicaux. Des mondes qu'il expérimente dans son "laboratoire", Tape Lab. Plus qu'un studio de production, cette plateforme renvoie à l'imaginaire de Jack Dangers. Un arrière-monde peuplé de vieilles machines, d'aliens, de boucles (mp3), d'une citation de Francis Bacon et d'activisme politique… Un mille-feuille qui allie technologie et une certaine "philosophie du son". Le changement de ton opéré sur l'album Subliminal Sandwich est sans doute aussi à rechercher dans ce kaléidoscope culturel. Avec ce disque publié par Play It Again Sam (P.I.A.S.) en 1996, Jack Dangers — et ses fidèles complices Ben Stokes (D.H.S.) et Mark Pistel (Consolidated) — signe son deuxième chef-d'oeuvre. Mais cette fois, l'ambiance est plus pondérée. Pas de breakbeats agressifs ni d'orchestration tapageuse. L'atmosphère est plus insidieuse, dans le bon sens du terme, avec des voix en retrait, une rythmique mid-tempo, de la basse et des nappes synthétiques pour enrober le tout ainsi qu'une touche "jazzy" (cuivre, corde, clavier). Une couleur que l'on retrouve ensuite sur Actual Sounds + Voices. Dès lors, on ne sera pas surpris de retrouver Meat Beat Manifesto au catalogue de Quatermass, la sous-division "électronique" du label Sub Rosa, avec RUOK? en 2002. Un opus un peu plus "baroque" et abstrait, qui bénéficiera par la suite d'une version dub…

Variaciones Espectrales
Et les frasques musicales de Jack Dangers ne s'arrêtent pas là. En solo, il aborde également la musique concrète et électro-acoustique ainsi que le versant expérimental de la musique électronique (c'est un fan de Pierre Henry). Des compositions qui servent aussi d'illustrations sonores pour la radio, la télévision et le cinéma. Les pièces rassemblées sur la double anthologie Loudness Clarifies / Electronic Music From Tapelab (Important Records, 2004) offrent un bon aperçu de cette facette de son travail. Dans la veine "ambient-electronic" (i.e. "drones, bleeps & blobs"), Jack Dangers s'est également essayé, avec succès, au "ciné-mix" sur le classique de science-fiction de Fred McLeod Wilcox, Planète Interdite. Une captation d'une de ses performances a été réalisée dans le cadre du festival I.D.E.AL. à Nantes, en 2004 : Forbidden Planet Explored, également sur Important Records. Conçu dans son antre, le Tape Lab, Music For Planetarium est à rattacher à ce versant expérimental, voire bruitiste, de ses productions. À l'autre bout de ce spectre sonore, mais toujours en solo, Jack Dangers s'affirme aussi comme un véritable dub-master au travers de ses réalisations sur Tino Corp, label qu'il a fondé avec ses amis Ben Stokes et Mike Powell (cf. Hello Friends !, en 2001). De nombreux maxis et une série de compilations (Tino's Breaks) — certaines étant aussi disponibles sur DVD en surround 5.1. — attestent de son amour renouvelé pour la bass-music.

Lonely Soldier
Malgré une collaboration brève, mais remarquée avec Alex Paterson en 2004 — cf. The Orb v Meat Beat Manifesto, Battersea Shield sur Malicious Damage (le label de Killing Joke) —, Jack Dangers a toujours été un adepte de dub heurté, séquencé, plutôt que des longues envolées propres à l'ambient-dub. Cette préférence est donc magistralement réaffirmée sur Autoimmune. Le nouvel album de Meat Beat Manifesto paru sur Planet Mu dont la tonalité générale est clairement dubstep. Un courant vers lequel Jack Dangers tendait tout naturellement : ce conglomérat de rythmiques percutantes, de basses vibrionnantes, d'electronica complexe, de vocaux et de samples faisant "écho" à ses précédentes productions sur Tino Corp. Les otakus traqueront l'édition américaine — rappelons au passage que Jack Dangers, d'origine anglaise, né à Swindon en 1965, s'est exilé en Californie depuis de nombreuses années — sur Metropolis, avec une pochette différente, qui comporte pour une raison qui nous échappe quatre morceaux supplémentaires… Cette dichotomie se répète avec l'édition d'un maxi en annexe à cet album. Baptisé Guns N Lovers aux États-Unis, cet avatar n'est disponible qu'en 3 titres en Europe sous le titre Lonely Soldier… What else ? Et bien, suite à une tournée promotionnelle pour Autoimmune au printemps dernier, Meat Beat Manifesto sera de nouveau à l'affiche de certains festivals sur le vieux continent cet automne. En France, rendez-vous est pris à Lyon, le 17 septembre, à l'occasion de la 10e édition de Riddim Collision (Jarring Effects) aux côtés — tiens, tiens… — de Mary Anne Hobbs.

Laurent Diouf
publié dans MCD #48, sept.-oct. 2008

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