La carpe et le lapin…
La première réaction qui nous vient a l’évocation d’un rapprochement entre l’art et la science est celle de l’étonnement. Il y a ainsi des catégories qui semblent figées, assignées à une place immuable. Une assignation à résidence — la raison « pure » d’un côté, la raison « esthétique » de l’autre — qui empêche toutes passerelles et tout échange. A priori, c’est un mariage improbable, si ce n’est contradictoire. La carpe et le lapin, donc…
Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Avant d’être mis en opposition, l’art et la science se sont parfois confondus. Le symbole absolu de l’artiste « sapiens » restant Leonard de Vinci. La Renaissance apparaît sur ce plan très éclairée. Paradoxalement, ce sont les Lumières qui ont (re)plongé la conjonction art / science dans l’obscurité. En devenant « moderne », la science s’écarte de l’art, tout comme la philosophie finit par s’affranchir du religieux.
Il faudra attendre le XXe siècle pour voir à nouveau un rapprochement entre art et science, mais selon des modalités différentes. Plus de génie universel comme au XVe siècle, mais des artistes qui se tournent vers l’optique, la mécanique, l’acoustique… En ce début XXIe siècle, l’informatique, le numérique, nourrissent les œuvres des plasticiens. Question de contexte.
Entre recherche et ingénierie, l’art « enrichi » par la technoscience opère ainsi une sorte de retour à la tekhné. Mais cette « nouvelle alliance » art / science ne saurait pour autant se limiter à des questions pratiques, de techniques et de supports, ou de mise en scène des nouvelles technologies.
Les multiples ateliers et rencontres « art / science » consacrent finalement moins les œuvres en elles-mêmes que les collaborations pour elles-mêmes. Il y a là, un enrichissement mutuel qui ouvre d’autres horizons, pour l’artiste comme pour le scientifique; comme l’indiquent les contributions rassemblées par Annick Bureaud, rédactrice invitée pour notre dossier thématique.
Ce rapprochement entre art et science ouvre les frontières de l’imagination pour la recherche scientifique et artistique. De cet entrecroisement naissent, par exemple, des chorégraphies hybrides, des innovations scénographiques, des installations astronomiques, des utopies biologiques et des créations chimériques : le poisson rougeoyant de Brandon Ballengée, Ti-tânes, et le fameux civet vert fluo d’Eduardo Kac, Alba (une lapine, en fait, ce qui assure une équité, terme que l’on préfèrera à diversité). La carpe et le lapin. Ad lib.
Laurent Diouf - Rédacteur en chef
éditorial de MCD #81 "Arts & Sciences", mars/mai 2016