La prospective est une affaire sérieuse. À tel point que Jean-Dominique Séval et son éditeur prennent bien soin de réfuter toutes accointances avec la science-fiction, grande pourvoyeuse d'anticipations…
Directeur général adjoint de l’IDATE et professeur associé à l’IAE-Université Montpellier 2, Jean-Dominique Séval nous propose sa vision des futurs possibles à l'heure de la diffusion massive des outils de la révolution numérique au travers d'une série de chroniques baptisée Vous êtes déjà en 2025. Cette anthologie offre un aperçu de ses réflexions publiées dans chaque numéro de Édition Multimédia, une lettre d'information consacrée à l'économie numérique et aux nouveaux médias.
Le point d'appui de ces extrapolations, c'est bien sûr Internet; monstre hybride qui se nourrit des innovations technologiques incessantes et modifie radicalement, irrémédiablement, notre rapport au monde en termes de mobilité, temps réel, géolocalisation, ubiquité (échange et contrôle à distance), virtualisation des données (cloud), révélation panoptique (open data), implémentation généralisée (objets connectés)…
Désormais, nous avons à peine le temps de prendre conscience de ces formidables possibilités offertes par le Réseau, que d'autres options tout aussi vertigineuses surgissent à la faveur d'une nouvelle application, d'un nouveau protocole, d'une nouvelle puce… On touche à peine du doigt, sur nos écrans tactiles (of course), les implications de ce nouveau monde numérique qui se dessine, et les conséquences de notre ancien monde analogique qui disparaît dans les ténèbres.
Ce bouillonnement alimenté par ce flux informatique re-conditionne nos identités (notre image sociale est désormais liée aux données des réseaux sociaux), de notre réalité (augmentée) et de la hiérarchie de nos échanges. Sur ce point, les activités du e-commerce sont souvent battues en brèche par la révolution du partage et de l'entraide communautaire [qui] instille ses germes subversifs portant les noms d'open source, de creative common suivis par une longue procession de termes en "co" : coworking, covoiturage (…). Un dynamitage en règle de l'économie traditionnelle et de ses intermédiaires avec des milliers de site web facilitant l'intermédiation directe entre particuliers (…).
Il en est de même avec le e-learning, la multiplication de forums dédiés et la mise en ligne de bibliothèques qui instaurent, de fait, une démocratisation du savoir sans précédent. Et pour les screenagers qui vont encore à l'école, ce savoir commence à être relayé différemment avec l'arrivée d'enseignants "digital natives". Les "Socrate" d'aujourd'hui arpentent les réseaux numériques comme les Péripatéticiens d'hier transmettaient leur savoir aux novices entre le Portique et le Jardin…
À rebours de l'industrie culturelle, il faut plutôt célébrer cette destruction créatrice du net qui a imposé l'achronie des médias. En d'autres termes, pour les films comme pour la musique, la temporalité imposée par les canaux de diffusion et la législation est devenue caduque par les échanges sur Internet : ce n'est plus la chronologie qui structure le paysage audiovisuel, mais les modes de réception qui obligent à ne plus différer, ni restreindre l'accès aux œuvres. Par ailleurs, il est assez drôle de constater que, après des essais infructueux de DRM en ce sens, c'est au tour des individus de protéger les échanges de leurs fichiers (photos, etc.) en les rendant "chrono-dégradables" (cf. Snapchat, Blink)…
Jean-Dominique Séval part donc de cette "grande transformation" pour imaginer "le monde d'après", celui qui nous attend demain. Par exemple, si aujourd'hui nous bénéficions déjà de traductions simultanées tout à fait honorables pour une communication basique dans le cadre d'un voyage, qu'en sera-t-il en 2025… Et dans le domaine de la domotique ? Des objets connectés ? Il y en a déjà plusieurs dizaines de milliards actuellement. Et le vivant connecté ? En commençant par les enfants, les vieillards et les malades… À la suite des animaux de compagnie désormais porteurs de puces électroniques, après les animaux sauvages…
En attendant la prochaine étape, rendue possible depuis que l'interaction avec nos terminaux est devenue sensorielle. La commande par la voix, le toucher et le mouvement ont ainsi ouvert le cyberespace aux animaux. La banalisation récente du brain control est en train de nous faire franchir une nouvelle étape : non seulement nous apprenons à communiquer avec des espèces différentes, mais ces nouveaux animaux "augmentés" apprennent aussi à communiquer directement entre eux par visiophone. C'est ainsi que les zoos sont devenus de véritables terrains d'expérimentations permanentes…
Laurent Diouf
Digitalarti.com, mai 2014
Jean-Dominique Séval, Vous êtes déjà en 2025 : chroniques de nos vies numériques (ebook, Édition Multimédia / Amazon.fr, 2014)