François Vogel

Les Yeux Derrière La Tête

En ce début d'année 2015, le Centre Des Arts d'Enghien ouvre ses portes à François Vogel. Un artiste qui a effectivement "les yeux derrière la tête", comme on peut le constater au travers des nombreuses vidéos, des dispositifs ludiques et des installations aux effets d'optiques envoûtants qui sont proposées dans le cadre de la vaste rétrospective qui lui est consacré.

François Vogel. Bad Water. Vallée de la Mort, 2008. Variations Photographiques. Photo: © François Vogel.

Dans cette exposition, François Vogel propose de nombreuses pièces, certaines inédites, qui bousculent notre vision du réel. Photographies, courts métrages, dispositifs, installations, projections vidéos : le spectateur va découvrir beaucoup de choses qui interrogent le regard : des images qui sont à l’endroit d’un côté et à l’envers de l’autre; des miroirs qui déforment; des caméras qui tournent… De fait, toutes ses œuvres nous donnent le tournis !

En jouant sur des effets de torsion et distorsion, François Vogel démultiplie notre regard, les angles et les points de vue sur des paysages, souvent urbains, au centre desquels il se tient parfois debout, comme un capitaine au milieu d'une tempête visuelle… Ces nombreux effets d'optique (fish eye, etc.), entre anamorphose et image fractale pour le rendu, sont aussi bien appliqués à des images fixes — la série Variations photographiques — qu'à de petits films (près d'une quinzaine pour une durée total de 47 minutes). François Vogel présente aussi des croquis qui expliquent la conception et les procédés de ses créations. L'envers du décor en quelque sorte.

Le choix retenu porte sur des œuvres qui existaient — surtout des courts métrages et des photos — ainsi que sur des petites vidéos inédites présentées en parallèle et un certain nombre de créations réalisées juste pour l’expo. Notamment Le fil à retordre, une installation qui joue, là aussi, sur des effets de distorsion activés par le spectateur qui actionne un fil métallique par le biais d'une manivelle. Les déformations de ce fil entrant en résonnance avec la propre image du spectateur; image à son tour déformée en alternance… Dans cette optique, si l'on ose dire, il y a également Le manège aux visages. Une autre installation interactive qui renvoie une image torsadée du spectateur. Mélangeant optique et mécanique, François Vogel combine des effets miroir à des dispositifs ludiques pour confronter le spectateur à une autre vision de lui-même (cf. La projection du moi).

François Vogel. Escalier Tokyo, 2010. Variations Photographiques. Photo: © François Vogel.

La pièce maîtresse de cette expo est une installation inédite assez imposante qui se déploie sur douze écrans. Elle est basée sur des effets visuels qui intervertissent le temps et l’espace. On voit sur ces douze écrans le même plan d’une rue encombrée de piétons et de voitures. Progressivement, grâce à un procédé technique inédit, tout ce qui est fixe à l’image se met à s’étirer jusqu’à devenir infiniment allongé. À l’inverse, tout ce qui bouge reste normal. Petit à petit, on se retrouve dans un paysage abstrait composé de lignes horizontales à l’intérieur desquelles les mêmes passants et véhicules continuent d’évoluer. Avec, comme fil rouge, un personnage au visage déformé, grossit par une lentille de Fresnel géante, qui passe et repasse devant la caméra et se démultiplie sur les écrans

Originaire de Meudon, François Vogel a entrepris des études scientifiques puis d'arts plastiques. Son théâtre d'opération est l'image sous toutes ses formes : dessin, peinture, cinéma d’animation, photographie et vidéo. Pas seulement sur le plan esthétique, mais également sur le plan technique. À ce titre, François Vogel est bien un artiste-chercheur, un photographe et un "artisan", concepteur d'appareils photo "low tech" : les sténopés. Je crois que le point de départ de mon travail est la photographie au sténopé (appareils sans objectif) : la découverte de cette technique a été une révélation pour moi. Il y a une pureté géométrique dans la façon dont l’image se projette dans ces appareils rudimentaires qui m’a tout de suite intéressée. Et maintenant, je travaille avec l’ordinateur comme si j’utilisais une sorte de sténopé virtuel.

François Vogel. Cloud Gate2. Variations Photographiques. Photo: © François Vogel.

J’ai cherché toutes sortes de manières de jouer avec la façon dont le sténopé capte la lumière. J’ai fabriqué des sténopés cylindriques, coniques, des sténopés de poche, des sténopés remplis d’eau ou même de révélateur (la photo se développant en même temps qu’elle s’expose). J’ai aussi donné d’autres formes aux négatifs en les froissant, les pliant ou les recollant. […] Ces jeux avec la perspective que j’ai pu faire avec le sténopé m’ont aussi entraîné à fabriquer un appareil photo qui photographie en perspective inversée. Une partie de ces appareils photos "bricolés" — et les photos qui leurs correspondent — sont aussi montrés dans cette exposition.

François Vogel aborde aussi la 3D au travers de petites vidéos — au départ fruit d’une commande — qui jouent sur les différences échelles entre des personnages, des décors. On a donc utilisé le fait que la 3D permet de grandir ou réduire suivant les réglages d’écartement des caméras. En écartant beaucoup les caméras, c’est comme si on regardait avec de gros yeux écartés, et donc l’espace observé paraît plus petit. On a joué avec ça pour intégrer des personnages miniatures dans des vieilles télés. Ces petits programmes étaient destinés à marquer des pauses entre des programmes pour une télé 3D.

François Vogel est un explorateur du visuel qui expérimente sans relâche des techniques : je fais en ce moment des essais photographiques où des objets déforment les perceptives, comme si un objet au premier plan d’une photo agissait sur le second plan. J’ai du être inspiré par le concept de lentille gravitationnelle qui est utilisé en astronomie. Dans ce cas, ce sont par exemple les trous noirs qui agissent comme des objectifs et déforment le tissu de l’espace-temps. Dans mon cas, ce sont des objets de tous les jours qui déforment notre quotidien.

Laurent Diouf
digitalarti.com, janvier 2015

Les Yeux Derrière La Tête, exposition de François Vogel au Centre des Arts d'Enghien-les-Bains, du 16 janvier au 22 mars 2015.

Lien Permanent pour cet article : http://www.wtm-paris.com/francois-vogel/