Capitaine Futur

ou le syndrome de Peter Pan

Soyons honnêtes, dès que l'on a mis un pied dans l'espace réservé à l'exposition Capitaine Futur, à la Gaîté Lyrique, nous avons une furieuse envie de nous rouler par terre, de faire de la balançoire, de gribouiller, de malaxer du sable, de jouer à cache-cache et à se faire peur aussi… Aux adultes esseulés qui voudraient tenter l'expérience, on conseillera néanmoins d'éviter la visite le mercredi; même en compagnie d'une personne de petite taille. Et bien entendu, le port de l'imperméable est à proscrire…

De mémoire, c'est à la fin des années 90s que l'on a vu (et entendu), hors des jeux vidéo, les premiers dispositifs électroniques à destination des enfants. La génération "techno" commençant à grandir, les poussettes ont fini par faire leur apparition les après-midis, dans des sortes d'after "cosy" dans des parcs, avec des chill-out en forme de crèche… Bien vite sont apparus des séances d'écoutes et d'initiation au djing spécialement dédiés aux kids… Après la musique électronique, l'art numérique. Suite logique du processus. Sur le mode récréatif, on a donc vu également fleurir des initiatives visant à éveiller les plus jeunes aux joies des dispositifs interactifs et autres installations immersives… En la matière, cette expo marque un point d'orgue.

À l'entrée, on cherche le capitaine qui a déjà hanté les lieux en 2013. En vain. Mais on suit ses recommandations : danse avec les esprits de la nature, suis les lignes et les perspectives qui organisent nos joies de demain. Et on trouve le futur. Il s'organise autour d'un parcours. Zen. Ce n'est pas un parcours du combattant. Encore que… les enfants soldats, ça existe. Mais dans les coursives de la Gaîté Lyrique, il s'agit juste de se frayer un chemin dans un champ d'algues luminescentes, conçues par Justin Lui (Animate Field), dont les fibres inoffensives se mettent à rougir au contact des aventuriers en culottes courtes.

Justin Lui, Animated Field. Photo: © Justin Lui

Tout étant à l'échelle des enfants, il faut s'agenouiller comme sur un prie-Dieu (et si possible du bon côté…) pour découvrir les perspectives délimitées par les plug-ins installés par Éric Benqué. Ce dispositif panoptique qui (re)cadre notre regard permet de découvrir les pièces et installations proposées sous un autre angle. En fait, ce n'est pas seulement le regard qui est sollicité : pour reprendre la formule, c'est bien une exposition à voir, à écouter et à toucher. Il y a, au total, près d'une vingtaine d'installations qui abritent pour la plupart OpenFrameworks et Arduino dans leurs entrailles… L'ensemble de cette manifestation étant jalonnée de rendez-vous, de concerts, de performances, d'ateliers, de projections de films courts, de zone de coloriage, de contes, de goûters (indispensables au vu la clientèle) et même d'une mini-boum !

Et à l'heure des écrans tactiles, le livre n'est pas oublié pour illustrer ce voyage extraordinaire grâce à Ramona Bădescu & Fräneck qui ont conçu un ouvrage multicolore plein de pliages. Capitaine Futur est bien une célébration du numérique, mais ce n'est pas une ode aveugle au high-tech. Les capteurs et les LEDs font jeu égal avec le bois et le carton. Et les origami sont là "pour faire plier la technologie", comme l'indique une gigantesque mâchoire de requin en papier plaquée au mur par Étienne Cliquet. Dès lors, il n'y a plus qu'à faire fonctionner notre imagination. Ainsi, par exemple, plutôt que d'écouter le bruit de la mer, on peut, à l'inverse, parler dans un coquillage qui répercute le son de notre voix dans une guirlande de motifs lumineux (Murmur de Chevalvert).

Kyle Mc Donald, Light Leaks. Photo: © Kyle Mc Donald

On peut aussi se prendre pour un géant ou un monstre en piétinant sauvagement un paysage interactif, projeté sur un tapis de danse, qui s'agrandit ou rapetisse selon nos mouvements grâce au talent combiné des designers et développeurs Takayuki Fukatsu & Akira Iwaya (The Giant Map). Et puis lorsque l'on est petit, on joue à reconstituer des mondes en miniatures avec des figurines et des briques en plastiques. Haru Ji et Graham Wakefield aka Artificial Wakefield, sont eux aussi de "petits" démiurges avec Archipelago : un tas de sable customisé en forme d'archipel où évoluent des entités virtuelles que l'on peut essayer de prendre dans le creux de la mains comme des fourmis.

Et puis il y a cette fameuse balançoire — symbole de l'enfance s'il en est — revisitée avec des traceurs et capteurs, transformant tout utilisateur en Alice aux pays des merveilles version "starship". Ou plutôt Starfield, puisqu'il s'agit bien de s'envoler dans les étoiles, de passer d'un monde à l'autre, nous indique le cartel expliquant — pardon, documentant — cette œuvre de Cyril Diagne, membre du collectif Lab212. Reste que se balancer en immersion sur fond de nuit étoilée, nous donne un peu mal au cœur et envie de vomir notre quatre heures…

Laurent Diouf
octobre 2014

Capitaine Futur et le voyage extraordinaire, jusqu'au 8 février 2015 à la Gaîté Lyrique, Paris

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