oqpo_oooo
Ce titre cryptique, à lire comme une allégorie d'un code informatique, est celui de la première performance audio-visuelle d'Alex Augier. Une performance conçue il y a exactement un an. Après quelques démarches pour concrétiser son projet, Alex Augier reçoit en juin 2014 un avis favorable de la part de l'équipe de Stéréolux qui en assure la co-production. Wilfrid Jaunatre, régisseur principal de cet espace de création et diffusion nantais, l'aide à trouver une solution et s'implique dans la construction de son dispositif. En septembre de la même année, Alex Augier est à l'affiche du festival Scopitone. Depuis, oqpo_oooo a été programmé en France et à l'international dans les festivals Vision'R, Sophia Digital Art, Mapping à Genève, Athens Digital Art en Grèce, Live Performers Meeting à Rome…
Et au festival Elektra à Montréal, en mai dernier, où nous avons assisté à cette performance. Sur scène, Alex Augier est dissimulé derrière une structure tubulaire en forme de cube 3D. On distingue à peine sa silhouette derrière les voiles qui matérialisent les faces du cube sur lesquelles sont projetés des motifs géométriques. Des lignes de fuite synchronisées avec le son, les fréquences et les rythmiques d'une "techno-tronique" puissante, cinglante et complexe, parfois tempérée par des plages plus ambient et grésillantes.
Alex Augier est avant tout un musicien. Il a imaginé son dispositif cubique comme une réponse à la problématique qui l'occupe : comment prendre possession de l'espace scénique ? La plupart du temps, l'artiste est sur le devant de la scène avec des projections vidéo derrière, en fond. Une configuration pas forcément pertinente. À l'inverse, ce cube, comme "objet-écran", apporte une dimension particulière. Il offre une alternative à la présence scénique de l'artiste en permettant de se mettre au centre tout en étant paradoxalement en retrait, en mettant en avant l'image et la musique (et non pas le musicien). Pour qualifier cette proposition hybride, Alex Augier utilise le terme d'"installation performée".
Compositeur dans l'âme, Alex Augier a toujours assumé sa passion pour la musique, au point de mettre un peu entre parenthèses sa carrière de neuro-radiologue (métier qu'il exerce toujours par intermittence, en parallèle à ses activités en tant qu'artiste audiovisuel) pour suivre en 2012 un Master 2 RIM (Réalisateur en Informatique Musicale) qui lui permet de maîtriser les logiciels made in Ircam (Max/MSP, etc.), d'être plus technique dans son processus de création.
À la suite de cette formation, Alex Augier a réalisé N[order]ISE. Une installation sonore spatialisée grâce à une dizaine de haut-parleurs qui étaient dispatchés dans la Nef Curial du 104 à Paris en juillet 2014. Cette installation était proposée dans le cadre du festival Manifeste de l'Ircam et faisait suite à un atelier dirigé par Robert Henke (aka Monolake). Tant au niveau graphique que musical, avec ses pixels et ses bruits blancs, N[order]ISE trahissait les influences de Raster Noton, Ryoichi Kurokawa et Ryoji Ikeda par exemple.
Actuellement, Alex Augier est de nouveau en résidence à l'Ircam, avec 3 autres compositeurs d'horizons différents (expérimental, field-recordings, électro-acoustique, etc.). Cet atelier baptisé In Vivo est placé sous la direction de Christian Rizzo, Caty Olive et Scanner (Robin Rimbaud) ! À la clef, pour chacun des participants, la création d'une pièce sonore de 10 minutes ainsi qu'une composition commune, spatialisée autour d'un monolithe de 7 mètres et jouée lors de l'édition 2015 du festival Manifeste, à Beaubourg.
Mais Alex Augier pense déjà à la suite, toujours avec l'idée d'investir au mieux l'espace scénique. Loin de vouloir décliner une version modifiée d'oqpo_oooo, du moins dans l'immédiat, il envisage au contraire un autre type de dispositif basé sur des écrans qui pourraient être placés en pointe comme un cube ouvert, avec un système de spatialisation du son qui donnerait au public la sensation d'être immergé. Visuellement, pas de rupture. Soucieux de garder une cohérence avec ses travaux antérieurs, Alex Augier resterait dans même esprit graphique, très arithmétique et minimaliste, avec des entrecroisements de lignes et de lumière.
Au niveau musical, par contre, il s'orienterait vers un son plus riche, avec plus de matière et de surprises, et peut-être généré par un synthé plutôt que par un ordi. Comme Herman Kolgen, référence revendiquée, cette démarche allie un côté numérique et organique. À ce jour, ce sont des pistes qu'il reste à concrétiser. En attendant, rendez-vous dans les prochains événements où Alex Augier se produit avec oqpo_oooo.
Laurent Diouf
juin 2015