tour d'honneur
Difficile, impossible de brosser le portrait de Blixa Bargeld sans évoquer Einstürzende Neubauten bien que le leader de ce groupe mythique aligne de nombreuses activités en solo depuis des lustres. Des activités artistiques qui débordent largement le cadre pour lequel il est initialement connu — guitariste et chanteur — puisqu'il s'illustre aussi comme acteur, performeur, photographe…
Mais commençons par le commencement, c'est-à-dire l'aube des années 80s. Au sortir des années punk, Blixa Bargeld monte dans l'urgence, avec N.U. Unruh (de son vrai nom Andrew Chudy), un groupe qui s'impose avec fracas à Berlin. Nom de code: Einstürzende Neubauten (traduction approximative: "constructions neuves qui s'écroulent"). À leurs côtés, deux filles: Beate Bartel et Gudrun Gut (cf. MCD #45). Elles ne resteront que quelques mois. D'autres personnages, dont Alexander Hacke, F.M. Einheit puis John Arbeit et Rudi Moser viendront rejoindre ce projet dans une explosion de sonorités bruyantes et improvisées.
Prévu pour avoir une existence éphémère, Einstürzende Neubauten s'est vite affirmé comme un groupe majeur du courant industriel dont la matrice reste Throbbing Gristle. Plaques de métal, étincelles de ponceuses, objets contondants, guitares torturées et vociférations (negativ, nein !) constituent l'armature de ces Strategien Gegen Architekturen. Juste pour le fun et ne pas faire mentir notre réputation, on mentionnera aussi les virulentes Stahldubversions parues sur cassette (toute une époque) chez Rip Off (cru 1982)… Au fil du temps, Blixa Bargeld et ses acolytes se feront moins brutaux, plus imagés. L'album Haus Der Lüge marque ainsi la fin de cette période tout en ouvrant une ère nouvelle avec des compositions qu'il faut bien qualifier de plus mélodiques (!).
Sans renier ses racines industrielles, expérimentales et avant-gardistes, Einstürzende Neubauten s'ouvre alors à un univers plus théâtral — cf. Die Hamletmaschine, suivra plus tard un Faustmusik avec Blixa Bargeld dans le rôle de Mephisto ! — et arty (Tabula Rasa). La décennie 90 s'achève comme il se doit sur des sons plus électroniques, avec une batterie de remixes signés Soulwax, Alec Empire, Panacea, Kreidler, Thomas Fehlmann, Techno Animal et Panasonic (pas encore débaptisé pour cause de marque déposée…). Mais les productions qui suivent, à partir de l'an 2000, offrent des ambiances plus apaisées, parfois teintées d'éléments symphoniques (Berlin Babylon), si ce n'est jazzy (Perpetuum Mobile) ou acoustiques (Klaviermusik).
On mesure le chemin parcouru depuis 28 ans ! Après une tournée marathon pour célébrer un demi-siècle d'existence, Einstürzende Neubauten a repris le chemin des studios sous l'œil averti de ses fans qui ont sponsorisé leur nouvel album, Alles Wider Offen. "Sous l'œil" n'étant pas une figure de style puisque cette souscription lancée via leur site offrait en retour, outre une édition spéciale de cet album doté d'un superbe packaging, des webcasts et des chats permettant de suivre la progression des séances d'enregistrements; ainsi que des concerts en exclusivité (toujours par webcast), des bonus-tracks en mp3 distillés tous les mois et, last but not least, la possibilité de créer un email indexé @neubauten.org.
Un brillant exemple du caractère innovant et pertinent du modèle Internet pour les indépendants, loin des problèmes existentiels et financiers de l'industrie musicale. Cela dit, musicalement, ce disque parachève la mutation amorcée par leurs précédentes productions où les vocaux ont désormais une place prépondérante. La diction de Blixa Bargeld, qui se donne corps et âme sur ses textes (et l'expression n'est pas galvaudée), étant bien sûr renforcée par des percussions martiales et métalliques. Une facture proche de son travail en solo (nous y voilà).
Depuis 1995, Blixa Bargeld se produit également seul en scène, micro en main, mais avec un technicien (Boris Wilsdorf) chargé de la gestion des loops, de l'écho et du mixage. Sa voix est ainsi modulée et séquencée, ou plutôt répercutée dans les haut-parleurs (qui n'ont jamais si bien porté leurs noms) au travers d'effets qu'il pilote avec des pédales. Mélangeant incantations, souffle, murmures, chants d'écorché vif, cris et déclamations diverses, cette performance librement improvisée est finalement assez proche de certaines interventions étiquetées "poésie sonore" (Henri Chopin). Pour sa part, Blixa Bargeld qualifie sa prestation de "pseudo scientific entertainment", après tout pourquoi pas… La chose s'appelle Rede/Speech et il en existe une captation immortalisée sur DVD, avec son surround en 5.1.
Ce n'est pas le seul projet solo de Blixa Bargeld. Actuellement notre homme travaille en collaboration avec Alva Noto (Carsten Nicolai) et le Recombinant Media Labs de San Francisco; lieu de création et d'expérimentation notamment pour les installations et le cinéma immersif. Par le passé, Blixa Bargeld a aussi abordé le 7ème art; comme compositeur de musique et aussi comme acteur (Thérapie de choc de Christian Frosch en 1996, par exemple). De même que le théâtre où il a réalisé des "bandes-son" et joué. Du Brecht, forcément, ainsi que du Gertrude Stein… Sans parler de lectures (Koltès, etc.). On lui doit aussi des expos photo, dont une série prise dans des salles de bain d'hôtels, retraçant ses itinéraires au gré des tournées qu'il a multipliées aussi, de 1984 à 2003, comme guitariste aux côtés de l'ex-Birthday Party, Nick Cave et de ses Bad Seeds (feat. Mick Harvey). Ce n'est là qu'un vague aperçu du "C.V." de Blixa Bargeld. Inutile de dire que cela fait plaisir de voir, enfin, un tel personnage reconnu de manière "officielle".
Laurent Diouf
MCD HS#01 / Qwartz, avril 2008
Site: http://blixa-bargeld.com/
Photos: © Thomas Rabsch
